Falconi ou la vraie identité du copiste prétendu « Corbeau »


Hélène de Jacquelot

Les précieux papiers d’Abraham Constantin que l’on peut consulter à la Bibliothèque de Genève nous ont permis, à Sandra Teroni et à moi-même, d’identifier le copiste romain baptisé « Corbeau » par la vulgate stendhalienne. Sur une page de brouillon du chapitre III des Idées italiennes sur quelques tableaux célèbres, de la main d’un copiste non identifié et de Constantin, Stendhal fait une série de calculs des pages copiées à « payer » avec les mentions « M. Falconi envoi fait », « payer Falconi »1.

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Bibliothèque de Genève (BGE), Ms. fr. 7222/2, f° 78.

Par ailleurs, Falconi, s’exprimant en français avec une certaine aisance, laisse un mot au Consul : « Je n’ai à copier que la Table des matières. Ayez la complaisance de laisser sur ma table du papier. Vous voici les Arazzi et la page que [sic] forme continuation de ce qui a été envoyé à Florence. / S’il y a encore des copies à faire, laissez-les moi sur la table. ». Le mot est sans signature mais la graphie est aisément identifiable.

Inédit. Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 7222/3, f° 11 recto.

Stendhal annote en bas de page : « 2 pages / de M.r Falconi / envoyé. 19 Janvr- », ce qui date ce billet et confirme le nom du copiste. Le 19 janvier 1840 Falconi a fini de recopier les « Arazzi », le chapitre VIII des Idées italiennes, dicté le 10 janvier, corrigé puis donné à copier le 122. En croisant les dates d’écriture de Lamiel avec celles des Idées italiennes nous voyons bien que Falconi a travaillé intensément sur ces deux chantiers surtout en janvier 1840 : dans les deux cas, il copie ou écrit sous dictée. Le lot lacunaire de 32 feuillets sur les « Objets d’art dans les églises » (chapitres XV-XVI) et les « Fresques des Palais » (chapitre XVII) est entièrement de sa main (lot datable fin décembre 1839-janvier 1840) ainsi qu’une bonne partie du manuscrit envoyé en plusieurs solutions à l’éditeur Jean-Pierre Vieusseux à la mi janvier et début février. Mais la collaboration de Falconi ne se limite pas aux mois de janvier et février. Nous trouvons des pages de sa main dans l’ajout de 21 feuillets annoncé à Vieusseux fin février et envoyé le 29 mars, ajout qui va constituer la première partie du chapitre XX « Particularités sur les Chambres du Vatican ». Il a donc participé à la préparation du manuscrit final des Idées italiennes qui se trouve encore actuellement au Gabinetto Vieusseux à Florence.

Le 20 janvier 1840 Stendhal fait le bilan de son intense activité romaine : « Arrivé le 20 j[anvier 18]40. Made beaucoup de choses en ces 45 jours, du 5 décembre [18]39 au 20 janvier [18]40. Je forme [lecture douteuse] ideas of Earline. 300 pages dictées. Même position que with Bonavie; made [un ou deux mots illisibles] the Opus des it. »3 De Lamiel à l’« Opus des it » que nous pouvons peut-être identifier avec les Idées italiennes, le copiste romain est maintenant évoqué de façon positive, dans un rapport d’égalité avec Bonavie alors que quelques mois avant, en reprenant en main le manuscrit de Lamiel, il regrettait son copiste parisien4. Falconi passe de l’un à l’autre opus avec souplesse, il suffit que l’auteur lui laisse sur la table le papier nécessaire.

Vue la part prise par Falconi dans la réalisation matérielle de deux travaux auxquels Stendhal s’est attelé dans les dernières années de sa vie, nous aimerions en savoir plus sur lui5. Si nous regardons de près les croquis, petits et grands, dont Stendhal émaille le manuscrit de Lamiel pour désigner son copiste romain de confiance, il s’agit bien d’un oiseau de proie, le buste érigé, le bec crochu et les ailes pointues. Pour s’en assurer il suffit de feuilleter les deux éditions procurées par Anne-Marie Meininger (folio classique, 1983) et Jean-Jacques Hamm (Garnier Flammarion, 1993) qui les reproduisent dans leurs appareils critiques respectifs. Soit dit en passant, Meininger ne s’y était pas laissée prendre : en guise de didascalie du fameux dessin qui figure en tête du manuscrit d’octobre 1839 elle suppose que « le copiste de Stendhal portait vraisemblablement le nom de Laigle ou de quelque oiseau de proie »6. Ni aigle, ni corbeau, c’est bien un faucon – en italien « falcone », au pluriel « falconi » – le copiste romain qui épaule Stendhal lors de la réalisation de Lamiel et des Idées italiennes.

Pour plus de détails, voir : Hélène de Jacquelot, « Falconi, un des copistes romains de Lamiel et des Idées italiennes », L’Année Stendhalienne, n° 14, 2015, p. 351-356.

Bibliothèque municipale de Grenoble, R. 298 (2), f°3r, Rés. et R. 298 (2), f°4r, Rés.


Notes